Nous avons eu l’honneur de recevoir Philippe Vasset, écrivain et journaliste d’enquêtes, pour aborder la puissance magnétique de la rampe de béton de l’aérotrain, projet abandonné dans les années 1970. Son séduisant récit, Une vie en l’air, paru chez Fayard , nous donnait l’occasion de revenir sur cette étrange construction barrant le paysage beauceron. Avec lui se trouvait un ancien pilote de ce projet expérimental, Denis Faure. Retour sur cette rencontre insolite et hors du temps, bien au-delà de la simple fonction documentaire.

L’avis de vos libraires. Récit inclassable qui chante un amour obsessionnel et jaloux pour la rampe de béton abandonnée de l’aérotrain, Une vie en l’air ouvre la voie au rêve invincible, aux existences décalées, aux projets échoués. Émouvant, d’une simplicité superbe, son style reflète la sincérité d’une obstination à vivre en l’air, au-dessus de la vie, en flottant. Nous vous convions à découvrir un écrivain étrange et attachant, qui nous rappelle comment la littérature peut permettre de s’approprier ce qui d’apparence n’est à personne ou éviter que l’on se sente éternellement exproprié de soi-même.

Philippe Vasset :

Retranscription écrite d’une partie de ce que nous a exposé Philippe Vasset.

« Je n’ai jamais vu l’aérotrain, mon royaume à moi c’était la rampe. Assez rapidement j’ai eu envie de monter là-haut, à l’époque c’était encore possible grâce à un escalier. J’ai perdu un temps insensé là-haut : cette rampe qui avait été construite pour accélérer le transit, désenclaver la région et transformer la France tout simplement en reliant des villes nouvelles au centre urbain devenait pour moi tout l’inverse. Tout était arrêté, immobile. Cette barre pesait sur le paysage et faisait que rien ne pouvait être construit, elle offrait un point de vue unique entre 9 et 12 mètres au-dessus du sol plat de la Beauce. J’y montais par exemple tous les 14 juillet pour voir l’intégralité des feux d’artifice de la région. Personne ne montait là-haut : c’est devenu mon territoire, mon pays. Je pouvais en faire ce que je voulais, rester des jours là-haut, ce n’était pas un lieu statique. Avant qu’il ne soit cassé il faisait 18 km, on pouvait longuement s’y promener, j’étais entouré par les oiseaux qui venaient récupérer les grains des champs apportés sur la rampe par le vent, sous la rampe la végétation offrait un abri aux animaux qui s’y réfugiaient pendant la période de chasse… c’était formidable. Enfant, on se construit des cabanes et puis progressivement on passe à des choses plus raisonnables, moi pas. J’ai continué à monter à 20 ans, 30 ans, 40 ans… cela en devenait gênant ! c’était une obsession un peu honteuse dont je ne parlais jamais.

Philippe Vasset à la librairie une page à écrire 2

Philippe Vasset à la librairie

J’ai toujours voulu écrire ce livre et j’ai toujours repoussé l’écriture. J’étais persuadé que si je finissais par l’écrire j’allais rompre un charme, dire des choses qui feraient que le lieu cesserait d’être aussi magnétique. À chaque fois que l’on me demandait sur quoi j’écrivais, je répondais « sur l’aérotrain » mais j’écrivais sur tout autre chose finalement. J’ai fait cela dix fois, et j’allais le refaire lorsque j’ai appris que la rampe allait être réquisitionnée pour un autre projet dont j’ai rencontré par hasard les promoteurs. J’ai compris que j’allais être chassé de ce que j’avais fini par considérer, au bout de trente ans, comme ma propriété personnelle. J’avais déjà envisagé de l’acheter, très sérieusement.

« Je voulais l’acheter pour faire en sorte qu’il ne devienne rien d’autre. » Ecoutez un extrait audio capté lors de notre rencontre avec Philippe Vasset

J’étais jusqu’alors un prince d’opérette sur un balcon en forêt, ravi que les tentatives successives de réhabilitation de la rampe échouent, projet après projet. Il fallait que je fasse quelque chose pour dire ce qu’il s’était passé dans ce royaume enchanté, qu’il s’était passé quelque chose là-haut, que j’y avais été heureux. J’ai écrit ce livre pour en reprendre possession, faire en sorte que le droit et la concession ne me chassent pas complètement.

Le livre se termine d’ailleurs comme un grand discours d’inauguration, concluant une enquête policière intime : qu’est-ce que j’ai pu fabriquer là-haut tout ce temps ? »

Extrait du livre :

Je n’habitais plus rien. Habiter n’est pas vivre : il y a des logements pour ça. Habiter, c’est trouver, dans l’espace, une zone de coïncidence avec son périmètre mental. Un lieu de commerce avec l’étendue, un point de relâche des lois de la géographie. Habiter, c’est entrer dans sa tête comme on pousse la grille d’un parc et découvrir, sous une végétation chahutée par des animaux en maraude, ses propres pensées statufiées, ses phrases gravées, au canif, dans le bois des bancs et ses souvenirs nageant, taches floues, sous la surface des étangs. C’est être étranger à soi-même, renoncer à l’intériorité, s’ouvrir aux flux. Habiter est un travail, et je peinais sur l’ouvrage.

Denis Faure :

Voici un extrait de 3 minutes pris lors de la rencontre.

Dans l’Écho Républicain

Merci à M. Sylvestre de L’Echo Républicain de s’être déplacé et d’avoir partagé avec nous cette rencontre. Voici leur compte-rendu en ligne >

Philippe Vasset dans l'Echo républicain