Samedi 31 août dernier, pour la rentrée de la librairie, vous nous avez fait l’honneur et la confiance d’assister nombreux au café littéraire, simple et convivial, proposé par Paméla Ramos. Nous avons évoqué le siècle de l’écrivain culte argentin Ernesto Sabato, puisqu’il est mort en avril 2011, deux mois avant ses 100 ans.
Nous ne nous risquerons pas à transcrire deux heures d’échanges et d’extraits, mais voici le rappel des titres évoqués, dans l’ordre dans lequel ils ont été publiés par l’écrivain, sachant qu’une partie de ses essais n’a à ce jour pas encore été traduite en français, et que certains qui le furent sont aujourd’hui indisponibles (la mention apparaît alors à côté). N’hésitez pas à écrire à la librairie toutes vos questions complémentaires, nous tâcherons d’y répondre aussi rapidement que précisément.
Rappel biographique :
Ernesto Sabato est né en juin 1911 à Rojas, une province de Buenos Aires, en Argentine. Neuvième fils sur onze d’un père italien et d’une mère albanaise, il reçoit le prénom d’un frère mort à deux ans, alors que sa mère l’attendait, lui. Ce premier épisode tragique le marquera durablement. Etudiant en sciences physiques, trouvant dans cet ordre un peu de la pureté que son chaos intérieur, comme il l’écrira à de nombreuses reprises, lui interdisait autrement, il sympathise avant de s’en éloigner avec les mouvements anarchistes, puis communistes, voyage à Bruxelles, à Paris puis revient en Argentine. Il épouse Matilde Kusminsky-Richter, alors étudiante, qui restera son épouse jusqu’en 1998, date où elle meurt d’une longue maladie. On doit à cette femme brillante, patiente et dévouée la conservation des trois romans d’Ernesto Sabato qui nous sont parvenus aujourd’hui, et surtout de son chef d’œuvre Héros et tombes : Sabato était en effet réputé pour brûler la majorité de ce qu’il écrivait, alors en proie à la dépression et au doute.
Après un épisode fondateur de deux ans de double vie à Paris où il étudie l’atome le jour à l’Institut Curie et le soir rejoint des groupes de surréalistes (nous sommes alors entre-deux-guerres) et se confronte au monde de la création débridée, il retourne en Argentine et abandonne rapidement la science pour se consacrer pleinement à l’écriture. Bernard Houssay, son professeur et futur Prix Nobel, sera de ceux, nombreux, qui ne lui pardonneront pas de tourner le dos à la science avec un certain fracas, puisqu’il consacrera ses premiers essais à tenter de mettre une première fois en garde ses contemporains contre l’absence de morale de la science qui, aveugle, mène l’humanité et la spiritualité dans le mur. Un thème qui reviendra fréquemment dans ses autres écrits, comme ses romans.
Son premier roman Le Tunnel, connaît un succès rapide. Lu et apprécié par Graham Greene, Thomas Mann ou encore Albert Camus qui le fera traduire chez Gallimard, Sabato connaît rapidement de multiples traductions (plus de trente pays à ce jour), ce qui lui confère ce statut rare de personnalité littéraire aux thèmes universels, pourtant marqués du sceau de l’angoisse, du cauchemar, de la confrontation au Mal, de la prémonition, bienveillant avec son lectorat et peu avare de conférences, mais toujours singulier, libre de changer d’opinion lorsqu’elle lui paraît corrompue, et au service des petites gens, voire des ratés, qu’il affectionne particulièrement. Engagé, il se fait la voix des démunis et, au gré des changements de politique multiples de son pays déchiré entre démocratie et coups d’états militaires, il se trouvera tour à tour en disgrâce (voire menacé de mort) ou promu héros de son pays. Il est finalement chargé en 1984 – l’année où il reçoit le prestigieux Prix Cervantès – de diriger la commission d’enquête sur les disparus de la dictature militaire, qui laisse 20 à 30 000 disparus parmi les opposants, disparus qui ont été assassinés et dissimulés.
Figure attachante et culte dans son pays qui l’étudie à l’école, il a joui en France d’une forte notoriété jusqu’à la fin des années 1990, son aura devenue plus discrète depuis, faute de « nouveautés » éditoriales le concernant. En effet, bien avant sa mort en 2011, l’auteur avait juré de ne plus écrire de romans, estimant avoir fait le tour, et ne livrera, traduits en français, que deux recueils supplémentaires, courts récits récapitulatifs, testaments littéraires et spirituels.
Voici donc un parcours dans ces ouvrages, commentés pour vous guider dans le labyrinthe d’un auteur puissant, torturé et génial – capable de vous embourber dans les souterrains les plus moites et les plus dangereux d’un roman possédé, puis de vous ramener à la pure lumière d’un pays gigantesque, pessimiste mais obstiné, virulent et fantastique, tout en passant par les couloirs plus rationnels et rassurants des idées politiques et sociales.
Les livres :
1948 – Le Tunnel, un roman sur la création, la communication impossible et la jalousie. Confession d’un peintre qui avoue dès les premières pages avoir assassiné sa maîtresse, il n’est pas à mon sens le roman le plus impressionnant de Sabato, mais donne déjà les thèmes essentiels qu’il reviendra développer par la suite. Traduit par Michel Bibard. Disponible en poche, chez Points.
1951 – Hommes et engrenages, Réflexions sur l’argent, la raison et l’effondrement de notre temps, vient tout juste d’être traduit aux éditions R&N, par Thomas Bourdier. Préfacé bellement et utilement par Juan Asensio, qui donne aussi une bibliographie succincte en fin de volume, cet essai développe la prise de conscience du scientifique qu’était Sabato, visionnaire et courageuse, s’élevant contre la glorification sans réserve du progrès scientifique. C’est un essai fondateur, poignant et référencé, qui est donné à lire pour la première fois au public francophone. Disponible, aux éditions R&N.
1961 – Héros et tombes, fresque romanesque envoûtée et ambitieuse, ce roman passe à juste titre pour son chef d’œuvre. On y suit le jeune narrateur Martin, racontant à Bruno sa passion pour Alejandra, morte au moment où s’ouvre le récit. S’entrecroisent plusieurs destins fulgurants, dont celui de l’odieux Fernando et de son Rapport sur les aveugles, un récit dans le récit devenu culte, source d’inspiration pour beaucoup de lecteurs. C’est aussi l’histoire des indépendantistes et des unitaires, blessures toujours ouvertes en Argentine dont le peuple entier compose avec une Histoire aussi brutale que frénétique. Si l’auteur y fait quelques références, il n’est pas nécessaire d’avoir lu le Tunnel pour lire Héros et tombes. Mais il faut savoir qu’on entre dans une œuvre complexe et viscérale, qu’il faut prendre au corps autant qu’elle nous éprouve : ce n’est une lecture aisée que lorsqu’on a une intime connaissance des marécages de l’esprit… ou qu’on désire l’apprendre. Une courte préface de Witold Gombrowicz rappelle le respect que lui portent une grande partie de ses contemporains écrivains. Traduit par Jean-Jacques Villard. Disponible en poche chez Points signature.
1974 – L’Ange des ténèbres est un roman qui s’affranchit de tous les codes du roman classique, et s’avère de ce fait assez déstabilisant. Il me semble que sans la lecture préalable du Tunnel mais surtout de Héros et tombes, il peut se révéler totalement hermétique : la valse des personnages des autres romans est incessante, et s’y ajoute des allusions à la vie de Sabato lui-même, mélangées avec des chapitres s’apparentant à des professions de foi, des injonctions à la création libre, des manifestes sur le rôle d’un roman et d’un écrivain… le tout saupoudré d’une toujours vive intelligence sur toutes les choses observées, petites ou grandes. Nous y reconnaissons son amour pour Proust et Dostoïevski, Sartre et Kafka. Bref, je le trouve jubilatoire et c’est sans doute mon favori pour l’infini des dimensions dans lesquelles il nous entraîne. Il est en outre extrêmement nourrissant et essentiel pour ceux qui ont plongé avec passion dans les autres volumes. Une sorte de dessert qu’il faut faire durer longtemps : on sait qu’il n’y aura plus de romans de Sabato après celui-ci… Enfin, précisons qu’il y porte toutes les conclusions qu’il résumera ou reprendra par la suite, pour répondre aux incessantes demandes des éditeurs, dans des récits ultérieurs intéressants et vifs, mais en rien comparables à l’œuvre romanesque qu’il vient de laisser. Traduit par Maurice Manly. Disponible en poche chez Points.
1976 – Conversations à Buenos Aires : cinq entretiens avec Borges menés courant 1974-1975 permettent de prendre la mesure de l’étendue des références et de l’univers des deux hommes, soulevant leurs similitudes et leurs divergences artistiques, politiques, spirituelles. Fascinant pour qui s’intéresse aux processus créatifs et d’écriture. Un concentré de pertinence. Traduit par Michel Bibard. Disponible aux éditions Anatolia / Le Rocher.
1986 – L’écrivain et la catastrophe rassemble plusieurs petits textes écrits dans différentes revues par Sabato sur son idée de l’écriture et du roman. Un recueil initié par les éditions du Seuil. Indisponible en France depuis quelques années, on se consolera en se disant que la majeure partie des thèses déployées se trouvent dans l’Ange des ténèbres. Comme il l’écrit souvent, un écrivain ne doit écrire que lorsqu’il a une obsession, et y revenir sans cesse… Traduit par Claude Couffon.
1988 – Mes fantômes, un entretien fleuve avec Carlos Catania, fut publié par Belfond mais n’est plus disponible non plus. Agréable, fluide et toujours étonnant, on voit d’une nouvelle manière les marottes de l’écrivain revenir ou se préciser, et sa lecture procure la sensation douce et chaleureuse d’une discussion à bâtons rompus avec deux très bons amis. Un peu plus accessible que Conversations à Buenos Aires, espérons qu’il sera repris un jour dans une nouvelle édition. Traduit par Lucien Mercier et Jean-Marie Saint-Lu.
1996 – Œuvres romanesques, un coffret magnifique au Seuil regroupe ses trois romans, une présentation de Jean-Didier Wagneur qui permet de saisir encore plus de la finesse structurelle des romans, une chronologie, une Microbiographie de Sabato lui-même (inédite ailleurs), des fac-similés et reproductions de quelques correspondances, ainsi que des ébauches de romans abandonnés ou de versions écartées des romans présentés. Un coffret obligatoire, collector, pour les afficionados ! Disponible au Seuil.
1998 – Avant la fin, récit autobiographique sombre, écrit deux ans après la mort accidentelle de son fils aîné Jorge, alors âgé de 55 ans. Sa femme Matilde, gravement malade, mourra dans l’année de la publication. Sabato revient sur une existence sans cesse mordue de chagrin et striée de gouffres alors qu’elle semble ne plus vouloir, pourtant, se terminer pour lui. Il ne le sait pas encore, mais il lui restera encore treize années à vivre après ce qu’il a dû alors considérer comme son dernier livre. Traduit par Michel Bibard. Disponible au Seuil.
2000 – La Résistance, tel un sursaut, est un recueil de cinq lettres ouvertes à ses lecteurs. Comme s’il craignait de n’avoir pas bien été lu ou compris, il reprend ses thèmes chers, condensés et coulés dans l’ambre de la lente maturation. Des textes poignants, qui finalement disent tout de lui en un mot et peuvent constituer une belle introduction, à rebours, à toute son œuvre : résistance. Traduit par Gabriel Iaculli. Indisponible depuis peu au Seuil, espérons une réimpression !
Paméla Ramos.
Tous les ouvrages disponibles dans cette liste sont présents à la librairie, réservez votre exemplaire !
Réserver un exemplaire à la librairie
Paméla Ramos a tenu quatre ans la librairie des Belles Lettres à Paris, avant de travailler dans l’édition et la communication. Installée en Beauce depuis cinq ans, elle collabore en freelance avec la Librairie Une Page à Ecrire depuis son ouverture.