Comment se fabrique un véritable fasciste français ? Celui qui, en 1944, se fera fusillé par la Résistance à 26 ans, après des déboires moins épiques que laborieux, consignés dans un journal à nul autre pareil, révélant une ardeur et une sensibilité troublantes ?
Antoine Bruneau, historien, a trouvé sept carnets de Freddy Legrand dans une brocante, le début d’une longe aventure éditoriale. Il était venu annoncer la parution de son livre, le 21 avril dernier lors d’une rencontre à la librairie, et nous en avait alors lu de larges extraits. Depuis, nous avons pu le lire intégralement, et ne le regrettons pas !
Son édition, précieuse pour ce témoignage unique (c’est le seul journal qui nous soit parvenu d’un collaborateur actif pendant la Seconde guerre mondiale), replace beaucoup d’éléments dans leur contexte. S’il admet avoir coupé plusieurs passages répétitifs (ah, cette histoire d’amour avec Suzanne….), il a gardé tous les indices politiques, sociaux et psychologiques qui permettent de comprendre le glissement d’un jeune homme intelligent et cultivé vers l’impardonnable.
La révolte contre la bourgeoisie de ses parents, ses échecs successifs (il se définit lui-même comme un raté), l’amour inconditionnel qu’il semble vouloir porter à beaucoup de causes et de personnes, sans cesse déçu, l’abandon pur et simple qu’il subit plusieurs fois par les proches les plus décisifs (avant son appartenance ouverte au Parti franciste), un goût pour l’aventure, la chevalerie et la dignité qu’il ne trouve pas à épancher dans une société dont il déplore la bourgeoisie et la mesquinerie…. inutile de tout dévoiler : si le volume souffre de quelques longueurs et d’une mise en page qui aurait gagné à être un peu plus graphique et mieux agencée pour plus de clarté, il est tout simplement passionnant par son contenu de première main.
Plusieurs passages (sur les livres, le « baroud », la nature) et formules, Freddy Legrand étant fine plume, sont remarquables. Exemple d’une constatation désarmante : « Il est odieux d’inculquer aux enfants la haine du vaincu. »
Un journal vivant et étonnant, facile à lire et fourmillant d’anecdotes du quotidien, étayé d’encarts sur des points de contexte particuliers, à conseiller à quiconque s’intéresse à la mécanique fasciste, mais aussi à la vie quotidienne pendant la guerre, pour en apprendre plus sur un collabo… ordinaire, bien que plus investi politiquement et personnellement que la grande majorité des collaborateurs passifs, comme nous l’a rappelé Antoine Bruneau lors de sa venue.
Antoine Bruneau, Journal d’un collabo ordinaire
Editions Jourdan, avril 2018, 430 pages, illustré noir et blanc
20,90 €
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