Arnaud Dudek (né en 1979 à Nancy) est écrivain. Auteur de sept romans, il vit et travaille à Paris.
À l’occasion de la parution de On fait parfois des vagues, roman subtil sur la transmission pour la rentrée littéraire 2020 des Éditions Anne Carrière, nous revenons avec lui sur sa trajectoire, son style et ses thèmes chers.
De la fragilité des pères à la construction des fils, de l’empathie à l’écoute, avançons à pas feutrés dans son univers tout en profonde douceur.
[ Son dernier roman ]
Quelques jours après son dixième anniversaire, Nicolas apprend que son père – avec qui rien n’est simple, tant l’homme et le garçon paraissent différents – n’est pas son père biologique. Que faire alors du généreux donneur de gamètes ? L’oublier ? Le nier ?
À 30 ans, Nicolas décide de partir à la recherche de son « bon génie » biologique malgré les obstacles administratifs qu’il s’attend à rencontrer…
Voir notre coup de cœurPaméla Ramos – Votre septième roman, On fait parfois des vagues, paraît pour la rentrée littéraire des éditions Anne Carrière (le 20 août 2020). C’est le deuxième roman que vous confiez à cette maison d’édition, après Laisser des traces, paru l’année dernière. Comment travaillez-vous avec vos éditeurs, et comment avez-vous appréhendé cette rentrée littéraire particulière ?
Arnaud Dudek – Avec mon éditeur, nous avons en fait une « vieille » relation de confiance… L’histoire commence en 2003 ; le rédacteur en chef d’une jeune revue littéraire qui a une farouche antipathie pour le premier degré accepte une de mes nouvelles, puis une autre, puis une autre encore. La revue s’appelle Décapage, le rédac’ chef Jean-Baptiste Gendarme. En 2011, Jean-Baptiste me demande si j’ai un roman en cours d’écriture – il connaît déjà la réponse. Il m’aide à poncer ce qui va devenir Rester sage puis fait lire le manuscrit à Jean-Maurice de Montremy, qui est sur le point de lancer les éditions Alma. Jean-Maurice publie Rester sage, qui a une belle vie, puis il m’accompagne sur quatre autres romans. Lorsque Jean-Baptiste Gendarme devient éditeur chez Anne Carrière, tout naturellement, je le suis. Depuis 2003, on n’a pas changé de mode de fonctionnement : je lui soumets le tapuscrit le plus abouti possible, il me dit sans filtre ce qu’il en pense, et s’il estime que le texte a du potentiel on commence le ping-pong par mail, en « entonnoir » (d’abord les grandes lignes de l’histoire, puis les détails, puis le rythme, les mots).
Sur On fait parfois des vagues, il m’a notamment poussé à allonger le texte, dont la première version (initialement pensée comme un monologue de théâtre) faisait un peu plus de 100 pages – un peu trop léger évidemment, à creuser la psyché du narrateur. Bien lui en a pris… Quand on a commencé à voir le bout du tunnel, la question de la date de sortie s’est posée. Après un brainstorming chez Anne Carrière, une sortie à la rentrée littéraire 2020 s’est dessinée. J’avais un droit de veto ; j’ai fait confiance à l’équipe. C’est une rentrée particulière, une sorte d’épée de Damoclès danse au-dessus de nos têtes, les trois quarts des événements prévus autour du roman vont peut-être passer à la trappe…. On verra bien. Cela ne m’inquiète pas. Le roman ne m’appartient plus, aux lecteurs de le « terminer ».
P.R. – Le thème de l’enfance, mais surtout de la relation père/fils irrigue au moins deux de vos romans, On fait parfois des vagues, et Tant bien que mal. Le premier suit le narrateur, aimé par ses parents adoptifs, mais à la recherche de son père biologique, souhaitant circonscrire la définition de « père ». Tant bien que mal explore, lui, la possibilité d’être père quand sa propre enfance a été souillée. Vous avez une capacité hors du commun à incarner vos personnages en quête d’identité, au point que, sans doute trop habitués à l’autofiction, nous nous égarons volontiers dans vos pages entre récit et fiction : d’où vous provient cette empathie ? Êtes-vous attaché à l’écriture du réel ?
Arnaud Dudek – Jusqu’au début de l’année 2015, jusqu’à ce qu’un de mes amis m’annonce solennellement, entre deux bières, qu’il allait faire un spermogramme, je ne m’étais jamais intéressé de très près à l’infertilité masculine, à ses causes, à ses effets, à ses conséquences. Je m’apprêtais alors à devenir père, à 35 ans. Je passais mon temps à comparer les mérites des sièges auto et des poussettes. Paternité, maternité tardives : un choix de couple assumé, qui ne se justifiait par aucune difficulté d’aucun ordre. C’est la raison pour laquelle l’annonce de mon ami m’avait particulièrement touchée.
Au printemps 2015, on m’offrit le Berceau d’Eric Laurrent, bouleversant récit d’une adoption, et d’une paternité différente qui commence. Quelques « notes pour un projet de roman » prises dans un cahier après cette lecture, sur l’adoption, le don de gamètes, mais aussi sur la vie et l’« œuvre » d’Antonie Van Leeuwenhoek, découvreur des spermatozoïdes au XVIIe siècle. Et la promesse de revenir vers ce cahier, un jour.
Quelques années plus tard, à la faveur d’autres événements, je me suis dit qu’il était également temps de rouvrir le cahier. J’ai écarté très vite la piste de la biofiction d’Antonie Van Leeuwenhoek, et choisi d’écrire – au départ, pour le théâtre – un texte plus intime. Soit l’histoire de Nicolas Apasagi, qui apprend l’année de ses 10 ans que son père – avec qui rien n’est simple, tant l’homme et le garçon paraissent différents – n’est pas son père biologique. On fait parfois des vagues raconte sa quête et ses questionnements. Nos questionnements. Qu’est-ce qu’un père ? Que transmet-on ? Comment se construit-on quand on se sent si différent du modèle à suivre ? Voici les questions que je nous pose. Avec douceur. Sans avoir la prétention d’y répondre.
J’ai besoin d’être en empathie avec mon sujet, mes personnages, pour pouvoir avancer. Ensuite, c’est un regard qui s’impose – narrateur omniscient et un peu narquois pour mon premier roman, Rester sage, qui suivait un trentenaire largué, dépressif, au chômage, et lesté de blessures filiales ; première personne pour les deux romans que vous mentionnez, ce qui donne naturellement une autre couleur au récit, un autre regard – la caméra embarquée plutôt que les longs travellings.
P.R. – La figure du père dans notre société contemporaine vous semble-t-elle l’objet de crispations artificielles, légitimes ou non, ou suit-elle le cours inexorable d’une métamorphose naturelle ? Comment en percevez-vous globalement le reflet dans notre littérature actuelle ?
Arnaud Dudek – Je vais enfoncer une porte ouverte : on n’est plus père comme il y cinquante ans. Le pater familias si connu des étudiants en droit jusqu’en 2014, attentif, prudent et diligent, mètre-étalon juridique de la norme comportementale, ce bon père de famille a même été sacrifié sur l’autel de l’égalité femme-homme… Et c’est une bonne chose, au fond. Mon père était une sorte de précurseur, il jouait beaucoup avec moi, c’est une fée du logis… J’ai suivi ce modèle. La littérature a suivi le mouvement elle-aussi, creusant la douceur et la fragilité des pères, fendant les armures avec délicatesse. Mon mètre-étalon à moi, en la matière, c’est Le Drap d’Yves Ravey : un fils de quinze ans vit la mort de son père, un homme simple. J’ai essayé, modestement, de creuser mon portrait de père en regardant dans cette direction.
P.R. – Votre style relève du mystère, de la magie. Épuré et fluide comme une eau minérale bienfaisante, sa fausse simplicité recèle de multiples formules évocatrices lovées dans une observation fine et sélective du réel. Composé en brefs chapitres, il ressemble à une succession d’éveils au milieu d’une grande rêverie. Sobre mais plein de sève, il diffuse une émotion constante, bellement dosée. Comment travaillez-vous vos textes, en général ?
Arnaud Dudek – Merci beaucoup !
Mon premier roman, je l’ai en partie écrit dans un carnet, raturé, biffé, corné. À présent, je ne fais plus de brouillons – j’écris directement « au propre », comme on dit à l’école, sur mon ordinateur. J’ai besoin de penser, de maturer mon idée, ma trame, avant de me lancer : j’ai besoin d’un fil. Si cela apparaît nécessaire, je me documente un peu, pour travailler la « justesse sociale » de ma toile de fond. Ensuite, quand je me sens prêt, je me mets à tirer le fil, doucement. Le premier jet sort de terre en trois-quatre mois (l’exception à la règle, c’est Tant bien que mal, que j’ai écrit en quelques jours, dans l’urgence, en apnée, parce que le sujet était si complexe, le fil si cassant qu’une simple respiration menaçait de le rompre). Au bout du premier jet, j’ai un titre. Ensuite c’est le ponçage, le polissage, la recherche des mots justes, de l’équilibre pour chaque paragraphe. On croit avoir la meilleure histoire du monde, mais non, elle a forcément déjà été écrite ; c’est la voix, le style qu’il faut trouver – Mauvignier, son dernier roman, c’est cela, une histoire simple, déjà racontée mille fois, mais racontée avec une voix, avec un style incroyable.
P.R. – Quels écrivains ont marqué vos années de jeune lecteur ? Quelles figures tutélaires vous reconnaissez-vous, si c’est le cas ?
Arnaud Dudek – Il n’y avait pas beaucoup de livres chez mes parents, lecteurs de magazines mais certainement pas de fiction – une perte de temps, estimaient-ils. Seule concession à l’imaginaire : les bandes dessinées – mon premier choc littéraire, c’est donc Tintin au Tibet, la neige, le Migou, l’amitié de Tchang.
Je suis devenu lecteur de fiction grâce à des enseignants passionnés, qui m’ont mis Colin et Chloé entre les mains, qui m’ont dit Tu devrais rencontrer Holden Caulfield… Boris Vian, J.D. Salinger sont venus d’abord. Plus tard : Paul Auster, Raymond Carver, Fitzgerald, Camus, les « auteurs Minuit » (Mauvignier, Laurrent et Ravey, déjà cités plus haut, mais aussi Echenoz, Oster, Gailly), Philippe Jaenada et son Chameau sauvage rempli de digressions, Olivier Adam, Arnaud Cathrine…
Il y a le cinéma, aussi, Sautet, Truffaut, Woody Allen…
P.R. – Et aujourd’hui, que lisez-vous le plus volontiers ?
Arnaud Dudek – Beaucoup de littérature contemporaine, trop peu de classiques. Je suis les conseils de mon libraire, essaie de m’aventurer hors de ma zone de confort pour découvrir des polars argentins ou des premiers romans ouzbeks…
P.R. – Auriez-vous quelques ouvrages, récents ou non, que vous aimeriez conseiller à nos lecteurs, pour explorer finement les relations de famille ?
Arnaud Dudek – J’ai déjà cité Le Drap d’Yves Ravey. J’ajoute Quand Dieu boxait en amateur de Guy Boley, une merveille. Il y a aussi Un mensonge sur mon père de John Burnside, magnifique, émouvant. Et puis le Ton père de Christophe Honoré.
P.R. – Qu’allez-vous lire en priorité, vous, de cette rentrée littéraire, et pourquoi ?
Arnaud Dudek – J’ai eu la chance de lire Histoires de la nuit avant sa sortie, grâce à Jeremy, mon libraire. Je viens de terminer le second roman de Laurine Roux, Le sanctuaire, que j’ai trouvé très réussi. La suite de ma rentrée littéraire sera féminine : Sarah Chiche (Saturne), Carole Fives (Térébentine), et le premier roman jeunesse de Lisa Balavoine (Un garçon, c’est presque rien), trois autrices dont j’admire le style, la voix.
Propos recueillis en septembre 2020.
Bibliographie d’Arnaud Dudek
On fait parfois des vagues
Éditions Anne Carrière, 2020, 192 pages, 17 €
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Laisser des traces
Éditions Anne Carrière, 2019, 190 pages, 17 €
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Tant bien que mal
Éditions Alma, 2018, 96 pages, 14 €
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Les vérités provisoires
Éditions Alma, 2017, 184 pages, 16,50 €
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Une plage au Pôle Nord
Éditions Alma, 2015, 168 pages, 16 €
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Les fuyants
Éditions Alma, 2013, 132 pages, 15 €
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Rester sage
Éditions Alma, 2012, 118 pages, 13,80 €
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La plupart de ces titres existent en poche chez Pocket.
Autres titres cités dans l’entretien :
Éric Laurrent, Berceau
Éditions de Minuit, 2014, 96 pages, 11,50 €
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Yves Ravey, Le Drap
Éditions de Minuit, 2003, 80 pages, 10 €
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Laurent Mauvignier, Histoires de la nuit
Éditions de Minuit, 2020, 640 pages, 24 €
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Guy Boley, Quand Dieu boxait en amateur
Grasset, 2018 [Folio, 2020, 192 pages, 6,90 €]
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John Burnside, Un mensonge sur mon père
Traduit de l’anglais par Catherine Richard
Editions Métailié, 2009 [ Point, 2010, 416 pages, 16,60 €]
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Christophe Honoré, Ton père
Mercure de France, 2017 [Folio, 2019, 192 pages, 6,90€]
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Laurine Roux, Le Sanctuaire
Editions du Sonneur, 2020, 160 pages, 16 €
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